La loi applicable à un contrat de travail européen : La clause d’exception

En présence d’un élément d’extranéité européen, se pose alors la question de la loi applicable à un contrat de travail dit européen.

On entendra par contrat de travail européen un employeur établi dans un état membre de l’Union européenne qui est amené à recruter un salarié pour travailler dans un ou plusieurs de ces Etats membres. En revanche, cela ne concerne pas l’hypothèse d’un détachement temporaire d’un salarié dans un autre Etat membre qui fait l’objet de dispositions particulières non analysées dans le présent article.

Depuis la création de l’Union européenne, certains points de la législation des différents Etats membres ont fait l’objet d’une harmonisation par l’intermédiaire de règlements européens qui ont la particularité de s’appliquer directement dans lesdits Etats au même titre que leur législation nationale.

Tel est le cas en matière de droit international privé conformément à l’article 81 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Plus particulièrement, le Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 régit la loi applicable aux obligations contractuelles et, donc in fine, à la loi applicable à un contrat de travail européen.

On reproduira in extenso l’article 8 dudit règlement applicable à ce type de contrat :

« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur.

4. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique ».

Il ressort de la lecture de cet article que la loi applicable à un contrat de travail européen se détermine de la manière suivante :

    • La loi normalement applicable est celle choisie par les parties soit par un choix express, soit d’un choix implicite pourvu que ledit choix résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.
    • A défaut de choix de loi, l’article précité fixe la loi applicable de manière objective selon les critères suivants :

        1. La loi du lieu d’exécution habituelle du contrat de travail.
        2. A défaut, la loi du pays où est implanté l’établissement qui a recruté le salarié.

      • La loi objectivement applicable peut être écartée en cas d’application de la clause d’exception prévue au paragraphe 4 de l’article 8 dès lors qu’une loi d’un autre Etat membre présente des lieux plus étroits avec le contrat de travail en cause.

      Cette dérogation à la loi objectivement applicable fait appel au mécanisme communément appelé la clause d’exception instaurée initialement par la Convention de Rome puis reprise dans le règlement « Rome I ».

      Celle-ci est un mécanisme correctif apportant de la souplesse dans la détermination de la loi applicable aux obligations contractuelles à défaut de choix de loi.

      Mis en perspective avec sa définition, on retiendra la finalité localisatrice de la clause d’exception. En effet, ce mécanisme a pour finalité de localiser le pays le plus proche de la relation contractuelle, autrement dit de rechercher le « centre de gravité » du contrat, notion mise en avant par d’éminents auteurs de doctrine, dont le Professeur Paul LAGARDE.

      La mise en œuvre de ce mécanisme implique, en premier lieu, de revenir sur son caractère subsidiaire (I). En deuxième lieu, la clause d’exception exclut toute appréciation du caractère favorable ou non de la loi applicable (II). Il convient simplement de s’intéresser à des critères objectifs pour son application (III).

          1. Sur le caractère subsidiaire de la clause d’exception

        Une lecture stricto sensu de l’article 8 du Règlement Rome I ne laisse guère de doute quant au caractère subsidiaire de la mise en œuvre de la clause d’exception. En réalité, on peut même parler d’un caractère doublement subsidiaire :

          • Tout d’abord, la clause d’exception n’a pas vocation, en principe, à jouer dans l’hypothèse d’un choix de loi figurant dans le contrat de travail.

            Il s’agit ici de garantir la suprématie du principe de la liberté contractuelle et de la volonté des parties qui ne peuvent pas être écartées par les juges, hormis situation exceptionnelle comme en présence d’une loi de police.

            La Cour de cassation veille à l’application première du choix du loi figurant dans une clause du contrat de travail comme en témoigne un arrêt de 2016 dans lequel elle casse une décision d’une Cour d’appel n’ayant pas pris en compte le choix de loi effectué par les parties (Cass. soc., 18 février 2016, n° 14-21.982).

            La clause d’exception pourra néanmoins retrouver une application implicite dans le cas d’un choix de loi. En effet, comme indiqué auparavant, la loi choisie par les parties ne peut pas priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions de la loi objectivement applicable.

            Ainsi, même en présence d’un choix de loi, le juge doit déterminer la loi objectivement applicable afin de vérifier si la loi choisie ne prive pas le salarié de la protection de la première loi dont le salarié pourrait tirer partie. C’est à cette occasion que la clause d’exception pourra implicitement jouer.

            En revanche, le juge ne peut pas user de la clause d’exception pour écarter totalement la loi choisie, ce qu’a rappelé récemment la Cour de cassation (Cass. soc., 23 juin 2021, n° 20-10.969).

            Il appartient ainsi au juge de :

             1. Déterminer la loi choisie par les parties dans le contrat de travail.
             2. Déterminer la loi objectivement applicable en usant, le cas échéant, de la clause d’exception.
             3. Regarder si les dispositions impératives de la loi objectivement applicable sont plus protectrices que celles de la loi choisie par les parties dans le contrat de travail.

          • Ensuite, avant de faire jouer la clause d’exception, les juges doivent déterminer la loi objectivement applicable en application des paragraphes 2 et 3 de l’article 8 du Règlement.

            Un des considérants d’une décision de la Cour de justice résume parfaitement le raisonnement qui doit être suivi par les juges dans le cadre de la détermination de la loi applicable à un contrat de travail (CJUE, 12 septembre 2013, C-64/12, Schlecker, concl. N. Wahl, considérants 35 et 36) :

            « Ainsi qu’il découle de la lettre et de l’objectif de l’article 6 de la convention de Rome, le juge doit, dans un premier tempsprocéder à la détermination de la loi applicable sur la base des critères de rattachement spécifiques figurant au paragraphe 2, sous a) et, respectivement, sous b) de cet article, lesquelles répondent à l’exigence générale de prévisibilité de la loi et donc de sécurité juridique dans les relations contractuelles (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2009, ICF, C-133/08, Rec. p. I-9687, point 62).

            Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions, lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre paysil appartient au juge national d’écarter les critères de rattachement visés à l’article 6, paragraphe 2, sous a) et b), de la convention de Rome et d’appliquer la loi de cet autre pays
             ».

            Les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation montrent également dans leur motivation la méthodologie à suivre : détermination de la loi objectivement applicable avant de faire une éventuelle application de la clause d’exception (Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-23.150).

              1. Sur l’absence de prise en compte du principe de faveur inhérent au contrat de travail

            La matière même du droit international privé se caractérise par une étanchéité avec le droit substantiel. La vocation première de cette branche du droit est seulement d’identifier le juge compétent et la loi applicable. Il s’agit donc de règles instrumentales afin de déterminer l’application d’autres règles.

            On peut donc parler d’une neutralité absolue de toute règle de conflit de lois, autrement dit, il convient de déterminer la loi applicable sans prise en compte du contenu des lois en concurrence.

            En partant de ce postulat concernant la mise en œuvre de la clause d’exception, cela signifie que la recherche des liens les plus étroits doit être opérée de manière tout à fait désintéressée. Pour autant, il ne peut pas être nié que le juge sera obligatoirement influencé par le contenu des lois en concurrence, notamment en droit du travail.

            En effet, l’une des finalités premières du droit du travail est de protéger les salariés. Cette volonté de protection irrigue toute la matière et se retrouve obligatoirement dans le droit international privé.

            Cette finalité protectrice se retrouve notamment lorsque les parties décident de choisir la loi applicable au contrat de travail. Dans un tel cas, le paragraphe 1 de l’article 8 prévoit que ce choix « ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives » de la loi applicable en l’absence de choix.

            Certains arrêts de la Cour de cassation peuvent laisser penser qu’elle use, ou plutôt instrumentalise, la clause d’exception en vue de faire application de la loi française jugée plus favorable que la loi d’autres pays.

            A titre d’illustration, elle a confirmé un arrêt où la loi du lieu d’exécution du contrat de travail (ex-Zaïre, actuellement République démocratique du Congo) a été écartée en s’appuyant notamment sur le fait que ledit contrat était rédigé en français. Or, la langue officielle du lieu d’exécution était également le français, ce qui enlève toute force probante à ce critère pour faire usage de la clause d’exception (Cass. soc, 23 mars 2005, n° 03-42.609).

            De son côté, la jurisprudence de la Cour de justice est parfaitement claire sur ce point et exclut toute appréciation du contenu des lois en concurrence dans l’appréhension de la clause d’exception (CJUE, 12 septembre 2013, C-64/12, Schlecker, concl. N. Wahl, considérants 34) :

            « Dans la mesure où l’objectif de l’article 6 de la convention de Rome est d’assurer une protection adéquate au travailleur, cette disposition doit garantir qu’est appliquée, au contrat de travail, la loi du pays avec lequel ce contrat établit les liens de rattachement les plus étroits. Or, cette interprétation ne doit pas nécessairement conduire, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 36 de ses conclusions, à l’application, dans tous les cas de figure, de la loi la plus favorable pour le travailleur ».

                1. Sur l’application du faisceau d’indice

              La mise en œuvre de la clause d’exception suppose de faire application de la méthode dite du faisceau d’indices. Pour ce faire, la preuve des liens les plus étroits doit passer par l’étape d’une comparaison entre les éléments rattachant le contrat de travail au pays de la loi objectivement applicable et ceux le rattachant éventuellement à un autre pays. De cette comparaison, les juges devront déterminer le pays ayant les liens les plus étroits avec ledit contrat et ainsi désigner la loi de ce pays (Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-19.723).

              Dans l’arrêt précité, la Cour de justice a précisé que la recherche des liens les plus étroits ne se fait pas de manière quantitative, ce qui suppose une recherche poussée des liens les plus étroits « en fonction de l’ensemble des éléments qui caractérisent la relation de travail » (CJUE, 12 septembre 2013, C-64/12, Schlecker, concl. N. Wahl, considérants 40).

              Dans un souci d’uniformité des solutions entre les juges des États membres, la Cour donne une liste non exhaustive de critères à prendre en compte afin de justifier la mise en œuvre de la clause d’exception en matière de contrat de travail :

              • le lieu de paiement des impôts,
              • le lieu d’affiliation à la sécurité sociale ainsi qu’aux régimes de retraite,
              • la devise du salaire,
              • les conditions de travail.

              Précision des plus utiles du juge européen, contrairement à ce que laisserait penser l’intitulé même de la clause d’exception, celle-ci peut être amenée à jouer même dans l’hypothèse où le salarié exécute son travail de façon habituelle, pendant une longue période et sans interruption, dans un même pays. La clause d’exception n’a donc pas vocation à intervenir que de manière exceptionnelle.

              L’étude de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation apporte d’utiles précisions quant aux critères pris en compte pour la mise en œuvre de la clause d’exception :

              Au contraire, dans les situations suivantes, l’application de la clause d’exception a été écartée :

              • La simple signature du contrat de travail dans un pays et le paiement du salaire sur un compte bancaire dudit pays ne suffit pas à établir des liens plus étroits avec un autre Etat que celui du lieu d’exécution habituelle du contrat de travail (CA METZ, 30 septembre 2019, RG n° 17/01475 ; CA AIX-EN-PROVENCE, CA Aix-en-Provence, 23 avril 2021, n° 20/07022).
              • L’emploi d’une langue spécifique pour rédiger le contrat de travail n’est pas significatif d’un rattachement plus étroit avec un autre Etat (CA RENNES, 25 octobre 2017, RG n° 16/01215).
              • Les éléments factuels résultant de la loi choisie par les parties ne sont que la conséquence de ce choix, de telle qu’ils ne sont pas pris en compte (CA COLMAR, 31 mai 2018, RG n° 17/00525).

              Il ressort de ces quelques exemples jurisprudentiels que la clause d’exception implique de rechercher l’ensemble des circonstances d’une espèce donnée en vue de déterminer l’Etat avec lequel le contrat de travail présente des liens plus étroits.

              Enfin, on précisera qu’il appartient à celui qui invoque la clause d’exception de rapporter la preuve de ces indices en vue d’écarter la loi normalement applicable (Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-68.851).

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              N.B : Cet article est mis en ligne uniquement à des fins d’information. En raison de l’évolution permanente de la législation et la jurisprudence, le Cabinet ne peut toutefois pas garantir son application actuelle et vous invite à l’interroger pour toute question juridique ou problème concernant le thème évoqué.

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